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De l’arbre à l’instrument, un métier de passion...

Jean-Pierre Reitz

Jean-Pierre Reitz possède un atelier de lutherie à Pétange depuis plus de 35 ans. Maître Luthier et archetier, cet ancien violoniste est un véritable passionné par son métier. Rencontre avec un artisan dont les activités sont souvent méconnues, à la découverte d’instruments à cordes aux facettes multiples et sans qui la musique classique telle qu’on la connaît ne pourrait pas être ce qu’elle est.

Luthier, ce n’est pas un métier commun. Comment est née votre orientation professionnelle ?

Elle est née très simplement. Un jour, alors que j’étais très jeune et que je devais faire un devoir de mathématiques, je suis tombé sur un clip à la télévision qui visait à promouvoir l’école de lutherie en Allemagne. J’ai été séduit par ce court-métrage qui mettait en avant la grandeur des paysages, les montagnes, les arbres, pour se centrer ensuite sur le bois. J’ai eu comme un déclic : c’est cela que je voulais faire, travailler le bois.

Mon père était ferblantier, il y a toujours eu plein d’outils dans la cave de notre maison car nous bricolions beaucoup, mais je n’avais jamais été attiré par le fer : il était toujours ou trop chaud, ou trop froid. Le bois, lui, me passionnait. J’aimais le toucher, le sculpter, le transformer. Etant violoniste depuis l’âge de huit ans, je n’ai pas hésité à allier mes deux passions : le bois et la musique. C’est ce qui a fait que je me suis orienté vers la lutherie.

J’ai suivi quatre années d’école spécialisée en Lombardie (Italie), à l’Ecole IPIALL, où j’ai fait non seulement de la lutherie, mais aussi de l’archèterie. Archetier est également un métier à part entière. Après mes études, en 1985, je me suis directement installé à mon propre compte, en tant que luthier-archetier et je n’ai jamais arrêté depuis.

 

 

Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste exactement votre métier ?

Pour l’expliquer à l’aide de mots simples, je dirais que je construis des instruments à cordes frottées - violons, altos ou violoncelles – à partir de bois brut, mais mon travail au quotidien consiste principalement en la restauration, la location, ainsi qu’en la réparation et l’entretien des instruments des musiciens. Les archets nécessitent également un entretien régulier :  le crin doit régulièrement être changé car il s’use par le frottement mécanique et le son s’en trouve altéré. Tout au long de ma carrière, j’ai construit des instruments mais il s’agit d’un travail fastidieux : il faut compter environ 150 heures de travail pour construire un seul violon.

Chaque instrument a son caractère, son histoire, un musicien qui l’accompagne. Ainsi, pour leur permettre de perdurer dans le temps, le luthier a une responsabilité de conservation envers ces œuvres antérieures. Néanmoins, voir naître un violon créé de ses propres mains a quelque chose d’assez magique...

 

 

Est-ce qu’un luthier utilise des bois spécifiques pour la construction de ses instruments ?

Oui, les bois utilisés pour la construction sont l’érable et l’épicéa ; vient s’ajouter ensuite l’ébène pour les garnitures. Le dessus d’un violon, la table comme on l’appelle, est toujours en épicéa. Tout le reste de la structure de l’instrument est en érable. Le choix de ces bois est important pour l’émission du son.

L’archèterie requiert quant à elle l’utilisation d’un bois encore plus spécifique : le Pernambouc du Brésil. Ce bois d’une grande dureté et de haute densité est utilisé pour la fabrication des archets, en raison de son extrême élasticité. Malheureusement, le Pernambouc devient de plus en plus rare et menace l'extinction de la fabrication d'archets en bois pour la lutherie. La fibre de carbone est une alternative déjà bien présente sur le marché. Des réflexions sont toujours en cours, mais d’autres types de bois ne donneront malheureusement pas les mêmes résultats sonores…

 

Qu’est-ce qui vous plaît le plus, dans votre métier de luthier ?

La transformation de la matière. C’est absolument fantastique de partir d’un morceau de bois brut, de le travailler minutieusement, et qu’à un moment ou un autre, ce bout de bois devienne un instrument de musique. Quand vous travaillez une pièce pendant cinq heures, une fois ces heures écoulées, vous voyez ce que vous avez accompli. C’est d’ailleurs le propre des métiers de l’Artisanat et c’est très motivant et très enrichissant.

Aussi, vu que ce métier allie la musique et le bois, il y a forcément un côté historique passionnant pour le luthier. Chaque instrument a un vécu : quand vous avez à réparer un Stradivarius de la fin du XVIIe siècle, vous avez dans les mains une œuvre d’art.  Vous pouvez imaginer quelles musiques ont été jouées, par qui, dans quel lieu, à quelles occasions et vous vous dites que l’instrument a subi de multiples transformations au cours des siècles : c’est captivant.

 

 

Vous employez aujourd’hui de jeunes luthiers au sein de votre atelier. C’est important, cette transmission ?

C’est même fondamental. C’est l’essence du métier de luthier. Ce qui est important et difficile, c’est la transmission du geste. C’est en effet uniquement en regardant le geste, en l’expliquant, en s’entraînant à le refaire, qu’on va réussir à l’intégrer, et à le refaire correctement pour à son tour, un jour, pouvoir le transmettre.

Les livres, l’école, l’Internet, oui, c’est important. Mais ils ne remplaceront jamais la transmission humaine et technique du geste. Mon maître japonais, auquel je dois beaucoup, me disait toujours « il faut voler avec les yeux ». Aujourd’hui, je suis heureux de pouvoir transmettre mon savoir-faire à des jeunes qui, je l’espère, le transmettront le moment venu à d’autres.

Chaque luthier est ainsi un maillon d’une chaîne dont l’unique objectif est de permettre aux notes de continuer à résonner au fil des siècles à travers le bois.


Propos recueillis en novembre 2020 
par Sabrina Funk, Secrétaire Général