FABRIQUE D’IMAGES S.A. produit des dessins animés pour petit et grand écran et adapte notamment les héros jeunesse du catalogue BAYARD à la télévision. Cette entreprise, qui regorge d’une très grande diversité de métiers, est actuellement le plus important studio de production luxembourgeois. Rencontre avec David DUBUIS, Studio Manager de la société, qui nous reçoit dans le silence au sein duquel baigne la créativité des artistes qui y sont employés.
Christine PARISSE et Jean-Marie MUSIQUE sont les fondateurs de FABRIQUE D’IMAGES S.A. Quel est l’objet de cette entreprise ?
Illustrateurs depuis quelques années déjà, Christine et Jean-Marie ont décidé de créer leur propre structure, en 2002, pour développer et produire du contenu à destination des enfants et de toute la famille, pour la télévision ou pour le cinéma. Leur entreprise a très vite pris de l’ampleur, si bien que l’on compte aujourd’hui jusqu’à 110 collaborateurs en fonction des productions en cours. Nous travaillons en principe sur trois ou quatre gros projets en parallèle. Le fait que notre studio soit le plus important au Luxembourg engendre la sollicitation de bon nombre de demandes d’emplois ou de stages. Si nous embauchons souvent des juniors, les seniors nous sont aussi précieux, pour l’expérience dont ils peuvent faire nous faire bénéficier.
L’intérêt qui vous est manifesté par de potentiels collaborateurs s’expliquerait donc par la taille de votre entreprise ?
Je dirais qu’elle a en effet ses avantages. Dans un studio de notre ampleur, qui reste très petit par rapport aux grosses structures internationales, l’avantage est que les collaborateurs peuvent contribuer à la création complète d’un personnage important d’un dessin animé. Dans de gros studios, il peut y avoir la frustration d’avoir travaillé sur un personnage très secondaire qui n’apparaît que deux ou trois secondes dans un film. Alors oui, la réputation d’une grosse entité est intéressante sur un C.V., mais la réalité est peut-être moins intéressante.
FABRIQUE D’IMAGES S.A. produit des dessins animés. Est-ce que vous pourriez décrire les différentes étapes qui conduisent à la réalisation d’un de ceux-ci ?
Oui bien sûr, même si elles sont très nombreuses. Avant toute chose figure la phase que l’on dénomme la partie « développement et droits ». On rédige un script, qui est suivi du design, c’est-à-dire que l’on opère différentes recherches graphiques qui correspondent au script. Un storyboard est ensuite établi, qui est assimilable à une petite bande dessinée, et dont le but est déjà de cadrer le projet. On a une idée, avec les images du storyboard, que l’on va filmer de telle ou telle manière, ou sous tel ou tel angle. L’animatic intervient ensuite : il s’agit du storyboard, mais animé. Pour imager cela, on pourrait dire que tout le dessin est déjà animé, à la nuance près que l’on compte 24 images par seconde. C’est donc très saccadé. Mais cela nous permet de voir les personnages bouger, marcher, courir, et on comprend déjà ce qui va se passer.
C’est donc simplement lors de la seconde étape que les personnages vont réellement prendre vie ?
Oui. Dans une production 3D intervient ensuite le modeling. Il s’agit de la mise en volume des personnages, des décors, toujours de manière numérique. Le texturing, c’est-à-dire l’ajout de textures, sera opéré. Le layout consistera alors à placer les personnages et les objets dans le champ de la caméra.
Et jusque-là, aucun éclairage n’intervient ?
Non, pas encore. L’étape qui suit directement est appelée le lookdev ; il s’agit de la détermination des propriétés optiques qui vont permettre au lighting de calculer les réflexions de lumière. Le rigging aura quant à lui pour but de mettre en place de l’ossature des personnages. Ils seront alors animés puis vérifiés par le « tech anim ». Vous savez, lorsque toutes les textures sont posées sur un personnage, il est possible que lors de l’animation – lorsqu’on lui plie un bras par exemple - l’on découvre qu’y ait des interpénétrations de surfaces qui ne sont pas belles à l’écran. Le tech anim consiste alors à opérer des retouches et des raccommodages.
Est-ce également à ce stade qu’interviennent les effets spéciaux ?
Oui, c’est à ce moment-là, en parallèle de l’étape de matte painting, qui permet de combler les « trous » qui sont derrière les objets. En effet, une fois que l’on a placé les voitures, les maisons, les arbres, il reste toujours des trous, derrière eux. Il va donc par exemple falloir faire un beau ciel. Et je peux vous dire à ce propos que les dessins réalisés par les collaborateurs sont juste incroyables. A tel point qu’à chaque fois que je regarde ce qu’ils font, je pense que ce sont des références photos, alors que non, ce sont leurs propres créations.
Il s’agit donc là de l’étape finale ?
Non, il faut encore « mettre les lumières », c’est-à-dire procéder au lighting. Intervient ensuite le rendering, qui opère certains calculs, dans la ferme de rendu. C’est la seule étape qui ne nécessite aucune intervention humaine, puisqu’il s’agit d’un calcul d’ordinateur. A la toute fin est réalisé le compositing, touche finale artistique permettant encore d’ajuster précisément la lumière, en y mettant plus de froideur ou, au contraire, plus de chaleur.
J’essaie de faire en sorte que tout le monde comprenne la finalité de sa tâche et son importance lors de la réalisation d’un dessin animé. J’ai donc demandé à tous les chargés de production de faire une projection, lorsque le film est fini. Les collaborateurs qui ont fait l’animation peuvent donc voir que le rendu est fluide, et qu’il fonctionne bien. Celui qui a modelé un personnage peut se dire qu’il est bien fait. C’est de surcroît un évènement de cohésion entre eux, puisqu’ils constatent l’intervention de chacun à différentes étapes du film. Montrer le résultat et la manière dont eux ont contribué au résultat, c’est ça, leur mérite et leur fierté.
On constate une précision sans faille dans l’organisation des étapes et du déroulement visant à la production d’un dessin animé. Y’a-t-il quelqu’un qui coordonne l’ensemble ?
Oui. Les projets sont chapeautés par un chargé de production, qui est celui qui gère l’ensemble de la fabrication. Il va notamment vérifier le respect de l’agenda et s’assurer que les contraintes budgétaires sont respectées. Il est également important de mentionner dans ce contexte le rôle des réalisateurs dans la production d’un film. Non seulement ils vont intervenir tout au long du projet mais en outre ils vont diriger artistiquement le film. C’est en effet le réalisateur qui va décider si une scène doit être sombre ou joyeuse, ou si l’ambiance doit être calme ou mouvementée. Il fournit toute la direction artistique et émotionnelle du dessin animé, ce qui est vraiment très important.
Et en ce qui a trait à la post-production, c’est-à-dire entre autres le placement de la musique et de la voix, qu’en est-il ? Vous disposez également du moyen de le faire en interne ?
Il y a effectivement un monteur au sein de notre équipe, mais nous ne nous occupons pas de la post-production. Nous travaillons avec des studios pour ce qui est relatif aux traductions – notamment en langue luxembourgeoise – et aux assemblages musicaux.
La diversité des métiers est flagrante au sein de votre entreprise. Que diriez-vous aux jeunes qui seraient intéressés par l’un de ceux-ci ?
Vous savez, il est peut-être un peu malheureux de le dire, mais aujourd’hui, beaucoup de personnes ont des métiers qui leur permettent uniquement de vivre décemment. De ce que j’ai vu, et de ce qui m’a vraiment frappé par rapport à l’industrie où je travaillais avant, c’est que les gens qui travaillent ici sont vraiment et véritablement passionnés. Quand je leur demande le lundi ce qu’ils ont fait de leur week-end, ils me disent qu’ils ont travaillé sur leurs propres projets ou qu’ils se sont entraînés au dessin. Si un serveur informatique tombe en panne au cours de la journée, pendant ce laps de temps, les collaborateurs dessinent. Ils ne vont pas prendre un café ou discuter entre eux. A titre d’exemple, les collaborateurs ont demandé à la direction des cours de dessin nu, ce parce que le nu leur permet de se perfectionner dans le dessin des muscles, ce qui est très important car ils doivent donner vie à des personnages. Ils sont vraiment animés par leur passion. Je dirais donc aux jeunes d’être sûrs qu’ils aiment vraiment cela. Cela doit vraiment être une vocation. Je peux le dire sincèrement d’un regard extérieur, ayant moi-même suivi un cursus d’ingénieur parce que le contexte et mon parcours s’y prêtaient bien, comme pour beaucoup d’entre nous. Pour eux, non. Ce sont des gens qui exercent ce métier parce qu’ils ont voulu l’exercer depuis leur plus jeune âge. Je trouve cela formidable. Et il ne faut pas oublier que leur produit final est absolument fantastique : c’est un dessin animé. Enfin et surtout, ce que je leur dirais, c’est que tout est possible, quand on dessine. L’imaginaire est ouvert. Et par l’effet d’un simple trait de crayon, c’est un monde entier qui s’anime.
Propos recueillis en juin 2018
par Sabrina Funk, Secrétaire Général